Zhuangzi: un portrait

Un portrait historique de Zhuangzi




ZHUANGZI / TCHOUANG TSEU
(ca 370- ca 300)

Philosophe daoïste originaire du pays de Chu, dans le sud de la Chine des Zhou, autour du bassin moyen du fleuve Bleu. Son nom signifie littéralement enfant du hameau.

Zhuangzi vécut misérablement, préférant sa liberté personnelle au joug des responsabilités du pouvoir.

Le livre de maître Zhouang est aussi connu sous le nom de Canon sacré de Nan Houan, du nom de la localité ou de la montagne du Shantong où l'auteur s'était retiré.

Certains chapitres parmi les plus anciens, écrits entre 250 et 300 av. J.-C., sont probablement écrits par une seule personne. D’autres, probablement l’œuvre de disciples ou successeurs, s’étaleraient tout au long des dynasties Qin et Han (-221 à 25), voire des Wei et des Jin (220 à 420).

Zhuangzi est avant tout le fabuliste du daoïsme : il s’exprime dans des discours extravagants, dans des paroles insolites, dans des expressions sans queue ni tête, parfois trop libres mais sans partialité, car sa doctrine ne vise pas à traduire des points de vue particuliers.

D’après Zhuangzi, seule la Voie était absolue, toute autre chose était relative. Il confondait le sujet et l’objet, comme dans le célèbre passage du rêve, ici relaté dans un poème de Li Po :

Zhuang Zhou a-t-il rêvé qu’il était papillon,
Ou plutôt le papillon rêva-t-il d’être Zhuang Zhou ?
Si une créature peut ainsi en une autre se transformer,
Le monde entier n’est qu’une chaîne infinie de transmutations…
Pourquoi, alors, s’étonner si le vaste océan à Peng-lai
Devient soudain un petit ruisselet ?
Et si celui qui plantait des melons à la porte Verte
Était, auparavant, le puissant duc de Dong-ling!
Si la fortune et les honneurs sont aussi inconstants,
À quoi bon faire des efforts et trimer dur toute sa vie.




Développement spirituel

En véritable daoïste, il en déduit que quand « ceci » et « cela » cessent de s'opposer, quand les distinctions cessent, on arrive à la vraie essence du Dao. Effacer ses traces représente donc pour le sage le commencement de la Voie; il lui est impératif, s’il veut progresser, de ne point être prisonnier de la mémoire des hommes, aussi Zhuangzi propose-t-il neuf étapes pour le développement spirituel :

1. Perte de l'artifice, retour à l'inculte, au sauvage.
2. Obéissance du novice au maître spirituel: la nature.
3. Après trois ans, le monde opaque des êtres devient sans résistance et se laisse moins comprendre que pénétrer.
4. La passivité augmente, le vouloir propre est détruit. Comme une chose qui se laisse déplacer, on se laisse faire.
5. Chose parmi les choses, l'être renouvelé se trouve en fait là où il n'y a plus de distinction, c’est-à-dire à l'origine.
6. Réintégrer en Gui, c'est revenir à l'animation propre mais parfaitement instinctuelle.
    La « continuité » de l'influx cosmique me parvient et m'anime pour me redonner « l'instinct ».
7. Le degré supérieur de l'animation cosmique, au-dessus de l'instinct, c'est le mouvement spontané céleste en moi.
8. La condition terrestre vécue jusqu'ici suppose que l'être a quitté la mort pour la vie, mais en moi, l'existence cosmique devient telle que la barrière vie/mort s'efface.
9. L'union mystique avec cet insaisissable mouvement total de l'Univers s'obtient enfin. Dernière étape dont il n'y a rien à dire sinon qu'elle est acquise sans retour.

Dao yin : nourrir la vie

Les techniques inspirées des mouvements des animaux étaient devenues courantes sous les Han, à la veille de l’ère chrétienne, celles-ci consistant à « guider et induire » l’énergie vitale de manière à lui permettre de circuler librement à travers tout le corps. Il fut le premier à utiliser l’expression daoyin signifiant « conserver la santé » par la détente et la décontraction :

« Souffler et respirer, expirer et inspirer, rejeter l’air usé et en absorber du frais, s’étirer à la manière de l’ours ou de l’oiseau qui déploie ses ailes, tout cela ne vise qu’à la longévité. C’est ce qui est prisé de l’adepte qui s’efforce de guider et induire l’énergie, de l’homme qui veut nourrir son corps, ou de celui qui espère vivre aussi vieux que Peng Zu ».
Citations

La parole n’est pas seulement un souffle. Celui qui parle a quelque chose à exprimer. Mais ce quelque chose n’est jamais tout à fait déterminé par la parole.

La raison d’être des mots est dans le sens; une fois saisi le sens, on oublie les mots.

Références documentaires

BILLETER Jean-François. Études sur Tchouang-Tseu, Éditions Allia, Paris, Réédition 2008, 291p.

BILLETER Jean-François. Leçons sur Tchouang-Tseu, Éditions Allia, 2009, Paris, 148p.

CHENG Anne. Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, Voir le chapitre 4 : Zhuangzi à l’écoute du Dao, pages 113 à 142.

LÉVI Jean. Tchouang-tseu, maître du Tao, Pygmalion, Coll. Chemins d’éternité, 2006, 388p.

LÉVI Jean. Propos intempestifs sur Tchouang-Tseu : du meurtre de Chaos à la révolte des singes, Paris, Allia, 2e édition revue et corrigée, 2007, 169 p. (paru d’abord en 2003).

LÉVI Jean. Les œuvres de Maître Tchouang, Édition de l’Encyclopédie des Nuances, deuxième édition révisée et augmentée, 2010 (édition originale en 2006), 370p.

LÉVI Jean. Le petit monde du Tchouang-tseu Éditions Philippe Picquier, 2010, 386p.

TCHOUANG-TSEU. Les philosophes taoïstes, Lao-tseu, Tchouang-tseu et Lie-tseu, Gallimard, NRF, Paris, La Pléiade no 283, 1980, 776 p. (traduit par LIOU Kia-hway, voir pp.85-358)

RAMBAUD Patrick. Le Maître, Grasset, 2015, 232p.

©Les Ateliers de Taiji, décembre 2015.
par Robert Boudreault